L’application dans le temps de la loi n°2023.668 du 27 juillet 2023

Le 30/08/2023

La loi du 27 juillet 2023 n° 2023-668 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite est entrée en vigueur le 29 juillet 2023.

Elle modifie notamment l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, réduit le délai ouvert au locataire pour régler sa dette ainsi que le délai entre le jour de l’audience et l’assignation de deux mois à six semaines chacun.

Ces délais étant prévus à peine de nullité dans le commandement de payer les loyers et l’irrecevabilité de l’assignation, la loi n’ayant pas prévu de disposition quant à ses modalités d’application, se pose la question de savoir s’il doit être fait une application immédiate de ces nouveaux délais aux baux en cours.

A titre liminaire, il convient de souligner que cette question n’ayant pas été tranchée par le législateur, elle ne pourra l’être que par la Cour de cassation, soit dans le cadre d’une demande d’avis (la Cour de cassation se prononce dans un délai de trois mois après saisine du tribunal ou de la cour d’appel), soit dans le cadre d’un pourvoi.

C’est dans ces conditions qu’ont notamment été tranchées par le passé les questions relatives à l’application immédiate ou non de dispositions contenues dans la loi ALUR ou la loi PINEL.

Néanmoins, si la position de principe ne pourra être que jurisprudentielle, une solution juridique peut être proposée à ce stade, avec toutes les réserves et la prudence que la nécessité d’une solution prétorienne impose.

Si l’on venait à privilégier le raisonnement de l’application immédiate du délai de six semaines pour le commandement de payer les loyers, le même délai de six semaines s’appliquerait entre le jour de l’audience et l’assignation.

A contrario, si l’on retient une approche prudente et que l’on applique le délai de deux mois pour le commandement de payer les loyers, le même délai de deux mois s’appliquerait entre le jour de l’audience et l’assignation.

En tout état de cause, à compter du 29 juillet 2023, tous les nouveaux baux doivent automatiquement comporter une clause résolutoire dont le délai doit être porté à six semaines.

L’article 2 du Code civil énonce que : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

En matière contractuelle, la loi nouvelle s’applique pleinement aux contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur.

S’agissant des contrats en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi, la survenance d’une règle nouvelle au cours de leur exécution vient perturber la stabilité des situations déjà établies de sorte que l’effet immédiat cède le pas à la survie de la loi ancienne.

Toutefois, ce principe dit de « survie de la loi ancienne » en matière contractuelle connaît lui-même des exceptions parmi lesquelles, l’ordre public et les effets légaux du contrat.

I- L’effet légal

1.1 Sur l’application du délai de six semaines aux baux en cours pour l’apurement de la dette locative.

La notion de statut légal est à l’origine une construction doctrinale permettant de qualifier certaines situations se trouvant à la frontière du contrat et de la loi.

Dans ces différents cas, le rapport contractuel existe bien, mais il s’avère à ce point limité par les contraintes légales que les co-contractants perdent finalement une grande partie de leur autonomie.
Ainsi, la Cour de Cassation juge de manière constante que « la loi nouvelle régit immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées » (Cass. 3è, civ., 1987 : Gaz. Pal. 1988, 1, 84, 3ème civ, 8 février 1989 i n° 87-18.046, 3ème civ. 15 mars 1989 n°87-19.942, 3ème Civ. 13 décembre 1989 n° 88-11.056, cf aussi le rapport annuel de la Cour de Cassation de 2014).

Dans un avis en date du 16 février 2015, 14-70.011, elle a précisé que « La loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 en ce qu’il donne au juge la faculté d’accorder un délai de trois ans au plus au locataire en situation de régler sa dette locative s’applique aux baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi du 24 mars 2014 ».

D’autres arrêts peuvent être utilement cités en la matière.

Notamment :

• Cour d’appel, Paris, Pôle 4, chambre 3, 26 Juin 2020 – n° 18/03540 : application immédiate de la réduction de la prescription de cinq à trois ans, pour « toutes actions dérivant d’un contrat de bail » (article 7-1 de la loi Alur du 24 mars 2014) alors même que cette disposition n’était pas énumérée comme immédiatement applicable par l’article 14 de la loi, qui fixait le dispositif transitoire de la loi nouvelle.

• Cour de cassation, 3e chambre civile, 17 Novembre 2016 – n° 15-24.552 : application immédiate de la majoration du dépôt de garantie à défaut de restitution par le bailleur dans les délais prévus (article 22 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014) : « Mais attendu que, la loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résulte que la majoration prévue par l’article 22 de la loi du 6 juillet 1989 modifié par la loi du 24 mars 2014 s’applique à la demande de restitution formée après l’entrée en vigueur de cette dernière loi ; qu’ayant constaté que le bailleur était tenu de restituer le dépôt de garantie au plus tard le 17 décembre 2014, la juridiction de proximité en a déduit, à bon droit, qu’il était redevable à compter de cette date du solde du dépôt de garantie majoré ; ».

• Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 23 novembre 2017, 16-20.475, Publié au bulletin : application immédiate de l’obligation d’assortir le congé d’une offre de relogement pour les locataires âgés de plus de 65 ans (l’article 15 III de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014) : « Mais attendu, d’une part, qu’ayant retenu à bon droit que, la loi nouvelle régissant les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, il en résultait que l’article 15, Ill, de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014, était applicable et relevé que la locataire était âgée de 66 ans et disposait de ressources inférieures au plafond en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés, la cour d’appel en a exactement déduit que le congé, qui n’avait pas été assorti d’une offre de relogement, devait être annulé ; ».

En l’espèce, le délai octroyé au locataire pour régler sa dette constituerait un effet légal de l’existence de la clause lui octroyant un tel délai, stipulée au contrat de bail.

En conséquence, les dispositions du nouvel article 24 du ° 89-462 du 6 juillet 1989 impartissant un délai de six semaines aux locataires pour régler la dette locative ou le dépôt de garantie à compter du commandement de payer seraient applicables au contrat en cours, sur le fondement de l’effet légal du contrat.

On peut néanmoins supposer qu’il en irait différemment si le délai contractuellement prévu était supérieur à deux mois, puisque la volonté des parties serait alors d’annihiler le jeu de l’effet légal.

1.2 Sur la réduction du délai d’effet de la clause résolutoire après un commandement de payer demeuré infructueux.

La loi du 27 juillet 2023 réduit également le délai de prise d’effet de la clause de résiliation de plein droit après commandement de payer infructueux, de deux mois à six semaines.

Il est certain que bail est un contrat à exécution successive et que les effets qu’il emporte ne sont pas définitivement réalisés tant qu’il n’a pas été résilié.

La clause résolutoire est une disposition contractuelle qui est inscrite dans le bail par la volonté des parties (sa présence au contrat n’étant pas jusque qu’à présent obligatoire).

Néanmoins le délai de deux mois est un minimum légal prévu par l’ancien article 24 de la loi du 6 juillet 1989, de sorte qu’en reprenant ce délai dans le contrat le juge pourrait considérer que les parties ont seulement souhaité retranscrire le minimum impératif pour respecter la loi.

Par conséquent la loi nouvelle prévoyant un délai minimal de six semaines pourrait également s’appliquer ici par le jeu de l’effet légal.

On peut supposer qu’il en irait différemment si le délai était supérieur à deux mois, puisque la volonté des parties serait d’annihiler le jeu de l’effet légal.

Dès lors, s’agissant de la clause résolutoire, il convient de référer au délai stipulé dans le contrat pour savoir s’il convient ou non d’appliquer immédiatement la nouvelle loi :

– Délai de deux mois : application immédiate de la loi et réduction du délai à six semaines ;
– Délai supérieur à deux mois : application de la durée prévue au contrat.

 

II- L’ordre public

Il existe une seconde hypothèque dans laquelle la jurisprudence a retenu que la loi nouvelle pouvait s’appliquer aux contrats en cours : si elle « contient une disposition relevant d’un ordre public impérieux » ou « des considérations d’ordre public particulièrement impératives » (Cour de cassation 1ère civile, 4 décembre 2001, 99-15.629, Cass. 1re civ., 17 mars 1998, n° 96-12183).

Or, la loi du 6 juillet 1989 dispose en son article 2 que les articles 1 à 25 de la loi sont d’ordre public.

Dès lors, la loi du 27 juillet 2023 modifiant l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 pourrait également être considérée comme d’application immédiate par le juge sur le fondement de l’ordre public.

La réserve ici, est celle d’un ordre public de protection au profit du locataire.

La jurisprudence fait en effet une application plus nuancée de l’ordre public lorsqu’il est « de protection ».

Ainsi, la Cour de cassation a pu affirmer « l’ordre public social impose l’application immédiate aux contrats de travail en cours et conclus avant leur entrée en vigueur des lois nouvelles ayant pour objet d’améliorer la condition ou la protection des salariés » (Cass. soc., 12 juillet 2000, n° 98-43.541).

Poursuivant l’objectif de valeur constitutionnelle du droit au logement, la loi n°89-462 du 06 juillet 1989 institue un ordre public de protection au profit du locataire.

On pourrait donc penser que la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 ne devrait s’appliquer immédiatement aux contrats en cours pour autant qu’elle protège les intérêts de la partie protégée : le locataire.

Or, le nouveau délai de six semaines, imparti au locataire pour régler sa dette, au lieu et place du délai de deux mois, n’est pas de nature à protéger ses intérêts.

Néanmoins, il y a lieu de penser que la Cour de cassation, qui sera amenée à trancher cette question, s’attachera à analyser l’objectif du législateur en promulguant la loi du 27 juillet 2023.

La loi du 6 juillet 1989 a pour effet de créer une cohabitation forcée entre deux droits fondamentalement opposés : le droit au logement et le droit de propriété.

A cet égard, le Conseil Constitutionnel a jugé, aux termes de la décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, que l’objectif du délai de six semaines était de protéger le droit de propriété, inscrit dans la Constitution :

« Les dispositions contestées du paragraphe I de l’article 10 réduisent de deux mois à six semaines les délais applicables respectivement à la prise d’effet de la clause de résiliation du bail d’habitation et à la notification de l’assignation aux fins de constat de la résiliation. Les dispositions contestées de son paragraphe II réduisent quant à elles à un mois la durée minimale et à un an la durée maximale des délais renouvelables que le juge peut accorder à l’occupant d’un lieu habité ou à usage professionnel dont l’expulsion a été ordonnée.

En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu accélérer la procédure de résiliation du bail en cas de défaut de paiement du loyer ou des charges ou de non-versement du dépôt de garantie, ainsi que la procédure judiciaire d’expulsion. Ce faisant, il a cherché à protéger le droit de propriété.

En second lieu, ces dispositions ne privent pas la personne intéressée de la possibilité de se défendre ou d’exercer les recours dont elle dispose selon les conditions de droit commun.

Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent ni le droit à un recours juridictionnel effectif ni les droits de la défense. Le grief tiré de la méconnaissance de ces exigences doit donc être écarté ».

Il convient aussi de souligner, pour nuancer l’existence d’un ordre public de protection exclusivement en faveur du locataire, que des dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989 concernent aussi la protection des droits du bailleur (comme l’article 7 qui édicte les obligations mises à la charge du locataire, destinées à protéger le bailleur).

La Cour de cassation a d’ailleurs jugé par le passé que l’ordre public de protection jouait tant en faveur du locataire que du bailleur (Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 2 juin 1999, 97-17.373, Publié au bulletin).

Enfin, on peut également considérer que cette réduction du délai à six semaines est également favorable au locataire qui ainsi ne voit pas sa dette augmenter au gré d’une procédure trop longue, favorisée par les délais trop longs de l’article 24.

 

L’ensemble de ces développements est soumis à la réserve impérative de l’interprétation souveraine des juridictions, dans une matière où l’objectif de valeur constitutionnelle du droit au logement s’oppose au droit de propriété, bien qu’il semble que c’est ici le droit de propriété que le législateur, exaucé par le Conseil constitutionnel, a souhaité protéger.

L’application dans le temps de la loi n°2023.668 du 27 juillet 2023

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